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La vie rousse

15 novembre 2015

Que durent longtemps encore nos abominations

 
Que durent longtemps encore nos abominations parisiennes et nos fêtes perverties. 

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Elle paraît indécente la petite vie avant ça.
Une soirée devait avoir lieu chez N. à 21h, je n'avais pas très envie d'y aller mais je m'étais forcée. Il était avec d'autres amis à une conférence au Panthéon depuis 19h, et consécutivement en retard à sa propre fête quand j'ai sonné avec ma bouteille de vin et mon paquet de chips. Cette légère impolitesse m'avait agacée, j'ai appelé R. pour ronchonner. Je suis allée rejoindre Cl. et C. dont l'appartement se trouvait à quelques minutes de là. Il y avait de la musique, un petit chat avec une barbichette, des bouteilles, un jeu de cartes. 
Cl. nous a parlé de son date prévu le lendemain, un rendez-vous chez un garçon qui, selon elle, nécessitait une épilation. On regardait nos téléphones pour essayer de voir jusque quelle heure roulaient les RER. On riait pas mal et j'ai pensé que j'avais bien fait de venir.
Ça paraît indécent cette soirée maintenant.


Les garçons nous ont rejoint vers 22h30. Il y avait M. qui est le meilleur du monde en calembours mais qui n'a fait aucune blague. On était déjà devant les chaînes d'info écoeurantes à guetter la moindre information utile. On a ouvert de nouvelles bouteilles de vin, avec nervosité cette fois. On a englouti des pâtes silencieusement, en tapotant comme des fous sur nos téléphones. Parfois quelqu'un se levait pour répondre à un appel. On a attendu des réponses pendant de longues minutes.
J'ai mis ma tête sous le plaid pour ne plus voir la télévision. Il a été question de l'organisation pour dormir tous sur place, j'ai fermé les yeux dis fois de suite en espérant me réveiller ailleurs.

Vers 3h, H. et moi sommes sortis pour rentrer chez nous. Aucun de nous deux ne supportait l'idée d'attendre encore. Nous n'avons pas trouvé la station velib et sommes partis à pied. Le trajet nous a paru interminable. On s'est baissé quelques fois quand des voitures ralentissaient près de nous. Ça nous mettait en colère d'avoir peur comme ça, dans nos rues, chez nous. 

Deux jours plus tard nous réinvestissons timidement le quartier avec R. Les gens qu'on croise ont l'air de vivre normalement alors on prend sur nous, on fait comme eux et on essaye de se décontracter un peu et de lâcher les journaux. Nous peinons à retrouver les sujets de conversation d'avant. On s'installe sur la banquette du café qu'on aime et on regarde les enfants qui jouent dehors au frisbee, à la trottinette, au foot. C'est un dimanche ensoleillé, ça fait un peu de bien. 

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16 septembre 2015

La vie sisu


Je lui ai dit, j’aime ta culture qui ne demande jamais à se voir confirmée dans la mienne, ce n’est jamais stressant de parler avec toi. On a rit parce que ça voulait dire,
j’aime que ça se passe bien entre nous alors que tu gagnes tes camemberts dans la catégorie littérature et moi dans celle divertissement. 

 

L’été où j’ai raté la culture (et pas mal l'été):

Je n’ai pas vu Les Mille et Une Nuits mais j'espère qu'il n'est pas trop tard. J’ai préféré voir Mustang qui n’est pas un chef-d’œuvre mais dont la fougue me faisait drôlement envie. Au cinéma les femmes sont hyper belles, elles mettent le feu aux chaises, giflent ceux qui voudraient les restreindre, et elles ont des chevelures interminables on dirait des fils de fée. Et puis les liens de sororité qu’on montre avec des jambes nues emmêlées, des têtes dodelinantes qui s’ennuient, se soutiennent et jouent, ça m'émeut à chaque fois. 
Nous avions pris les vélos chez ma mère dans la nuit. Il avait fallu au préalable vandaliser l'antivol dont la clé s'était perdue. Ce cambriolage factice avait provoqué chez moi une euphorie contagieuse et nous pédalions totalement hilares dans les rues désertes de sa ville déprimante.

Je n'ai pas vu Jauja, ça me faisait très envie pourtant. Je voulais le voir avec un garçon, mais ensuite je n'ai plus voulu voir le garçon alors je n'ai pas vu le film non plus. 

Je n’ai pas vu ce film allemand tourné en une seule prise. Victoria je crois. Confession peu glorieuse: j’ai préféré voir le dernier Pixar, Vice et Versa, à 22 heures dans une salle climatisée pour échapper à l’insupportable chaleur de la journée. Cette fois c'était à Paris et j'étais seule. J'ai tué le temps dans la boutique du Mk2 en découvrant qu'ils y vendaient ma pâte à tartiner préférée. Je précise que je suis à la fois ravie que cette pâte soit commercialisée, mais que je reste persuadée d'avoir eu la première - bien que R. le réfute par pure mauvaise foi - l'idée originale d'une pâte chocolatée à la feuilletine (en revanche je ne vois pas l'intérêt de la tartiner, c'est bien meilleur en dip, que vous dipiez une clémentine ou une cuillère).

Dans le bus, une dame désigne à son mari une affiche à travers la fenêtre. C’est ça le film que je veux voir là, Jacques Audiard tu vois, Dheepan! Parce qu’elle a vu Un Prophète et c’était hhhhh. Alors au début on lui avait dit qu’il y avait quelques scènes un peu dures, et puis finalement elle l’a vu quand même et puis hhhhh. Mais c’est vrai qu’il y avait quelques scènes un peu dures mais franchement l’acteur! Son compagnon acquiesce juste de la tête.
Moi j’ai jamais vu un seul film de Jacques Audiard, parce qu’il ne m’inspire pas avec ses chapeaux et ses grosses lunettes. N'en déplaise à la dame du bus, j'ai pas vu et je n'irai pas voir Dheepan.

Je ne sais pas si on peut dire que j'ai raté Mad Max. On devait aller le voir avec des amis parce que c’est le genre de film compromis qu’on peut envisager pour une sortie ciné entre copains aux goûts disparates. Maintenant j’aime de moins en moins aller au cinéma avec d’autres personnes, sauf des personnes avec qui on peut faire des sourires silencieux avant, pendant, après la séance. Ce soir-là je me suis défilée mais je le regarderai peut-être à la maison, parce qu'il me semble que c'est le genre de film compromis qu'on peut envisager pour une soirée dvd entre copains.

Je n'ai pas vu l’exposition Lartigue alors qu’une des photos trône sous forme de carte au-dessus de mon bureau. Je m’étais juré de la voir après qu’O. m’a ramené ladite carte. En fait, je n’ai vu aucune exposition cet été, par contre j’ai beaucoup souri devant la scène de vernissage dans Microbe et Gasoil (mais pas autant qu'à l'idée d'une voiture-cabane avec géraniums).

La radio m'a tout de même sauvée du désastre de cet été ni vraiment studieux, ni vraiment estival, ni du tout culturel. J'ai passé un quinze août merveilleux, seule avec le chat que je gardais, à écouter René Char lu par Guillaume G. en regardant les trombes d'eau s'écraser sur la porte vitrée, et ahlala c'était beau. 

 

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J'adore le mois de septembre. Il annonce l'automne et c'est une joie en soi, Paris se repeuple et il s'y passe toujours un tas de choses. Il s'y est passé notamment mon dégoût nouveau pour toute une série d'aliments sacrifiés pendant mes jours de nausées post extraction de dents de sagesse.
Instant nécrologique avec la liste des victimes:
- compotes et yaourts, 
- bouillon de légumes aux pâtes minuscules, 
- pain de mie industriel, 
- soupes froides,
(eux c'est pas grave, je ne les portais pas particulièrement dans mon coeur avant)
Mais aussi: 
- houmous
- glaces diverses mais globalement fabuleuses
- guacamole
(eux c'est très grave, ma vie gustative s'en retrouve totalement chamboulée, sachant qu'il est par ailleurs prévu que je devienne végétarienne, je ne sais pas ce qu'il va advenir de moi).

En ce début de mois, je retrouve aussi la sensation d'excitation qui m'avait quittée un moment, à l'idée d'entreprendre un tas de choses nouvelles. Au sixième étage avec deux presque-balcons, dans l'appartement de N. qu'occupait précédemment L., nous faisons une énième soirée de future-promotion et je ne tiens pas vraiment en place. Je m'émerveille de la bonne humeur et de la complicité qui règnent déjà alors que nous nous connaissons si peu. Je relève aussi ma sensibilité accrue aux petites dominations d'habitude, maladresses, impolitesses et violences infimes qui se glissent dans ces conversations comme dans tout autre contexte. Ça me tracasse. L'idée germe doucement, on pourrait profiter des privilèges qu'offre l'année à venir pour faire un peu mieux que se retrouver autour de bouteilles à se demander si Kool Shen porte seul NTM ou si Joey Starr apporte un intérêt quelconque au groupe (question dont je ne conteste pas la pertinence en soi mais qui, soulevée dans une soirée de jeunes juristes entassés dans un charmant décor haussmannien, me met subitement mal à l'aise). Je me laisse porter par la motivation et les espoirs d'amélioration plutôt que par l'exaspération, j'ai à nouveau plus hâte que peur et ça fait du bien.

Pour la peine et parce que j'aime sa sonorité, je ne décroche pas du mur le petit bout de papier inspiré d'un message d'encouragement envoyé par N. qui était alors en Finlande: Sisu!

9 août 2015

Conserver des voyages les cartes de transport, pour quand on reviendra

 

Juin - Juillet

Nous mangeons des Mister Freeze, par trois pour elle (coca, framboise, citron), en déplorant le fait que ceux à l'anis ne soient plus commercialisés. J'enveloppe les glaces dans du papier pour éviter que nos doigts ne brûlent et j'étends mes jambes au soleil. Cet été sans vacances semble plus léger que tous ceux des années passées. Il a commencé tonitruant par des bonnes nouvelles, un cambriolage (qui me rend définitivement amnésique des cinq mois d'absence ici - j'aurais dû écrire dans des journaux intimes papier, tant pis!) et une fête permanente. On fête la fin de l'année éprouvante, on fête l'année à venir tellement radieuse. Mon sourire s'étire et celui de N. aussi quand nous tournons les yeux l'un vers l'autre, abasourdis par la chance que nous avons et que nous n'espérions pas. M. me glissera plus tard "On sent que vous vous aimez beaucoup et qu'il veille sur toi"; elle a raison. Je fête la chaleur qui tombe à vingt-deux heures, en dansant sur des chansons que je n'aime pas trop et dont je ne connais pas les paroles (pas grave, je chante quand même). Quand il faut se remettre au travail et que les journées se ressemblent, je fête en secret avec L. Tigrinus le retour à heure fixe de R. Peu importe qu'elle soit fugace et farouche, on fait la petite vie et je m'applique à la patience. Elle glousse de joie en dévorant une salade de haricots verts frais, c'est drôlement bon l'été.

A peine ai-je gagné le droit de rester à Paris que tous les projets se rêvent ailleurs. Sans doute a-t-il fallu attendre de pouvoir espérer fuir cette ville à deux, pour l'envisager sérieusement sans avoir l'impression d'y laisser une partie de moi. 
Quand j'étais enfant, mes parents ont voulu quitter la région parisienne pour un lieu de vie plus agréable. Ma mère a pris une carte de France et a pointé son doigt au hasard dans une région avec beaucoup de vert. Je souris de me retrouver, vingt ans plus tard, à agir de la même façon en scrutant les zones vertes et les points bleus sur la carte. Je finis par abandonner en soupirant parce qu'il n'existe pas de pictogramme pour figurer les marchés de poisson et de légumes, les restaurants, l'emploi, les cinémas et le charme. 
Les rêves de loin loin loin nous tiennent éveillées toute une nuit. Je ne me coucherai pas tant que je n'aurai pas trouvé notre itinéraire de tour du monde complet. Finalement je me suis couchée avant. 

 

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Août

Les nuits sont parfois difficiles et enfouissent certaines journées dans une humeur maussade et défaitiste. Je lutte beaucoup. Le mois d'août est tout indécis et il m'arrive encore, quelques rares fois, de préférer rester au lit pour ne rien décider. J'ai dit adieu à Mme B. en dissimulant ma joie. Les adieux n'ont jamais été aussi nombreux et faciles que cette année. Je demande quelques nouvelles polies de Th. en prêtant une oreille distraite aux réponses. Je ne me résous pas à répondre à M. et la culpabilité m'éfleure à peine. Penser à A. me met mal à l'aise, il m'arrive de craindre de le croiser dans le métro. J'ai marché plusieurs fois sur les bords de la Seine depuis, mais la petite sensation de dégoût persiste.
La stratégie de l'égoïsme protecteur s'épuise, les pensées focalisées sur moi-même me lassent et me font honte alors j'essaie de répondre davantage au téléphone.

Après quelques rendez-vous ratés, notre petit club de lecture se réunit à nouveau et c'est un véritable bonheur. J'ai présenté Le Maître et Marguerite sans réussir à en dire autre chose que "C'est le diable à Moscou et il y a même Ponce Pilate!" en sautillant d'enthousiasme avant de jeter mon dévolu sur les biscuits au matcha. Le soir, c'est systématique, nous passons une heure avec R. à nous dire combien ces réunions nous font du bien et combien notre amour pour les autres filles présentes grandit à chaque fois. Il y a eu cette fois-ci - en plus des biscuits -  des madeleines fourrées, des cookies, un énorme pot de framboises, des muffins délicieux et des tentatives peu concluantes de milk-shakes au lait végétal.
En août il y a aussi des seiches comme à L.O., qui déclenchent l'alarme incendie de l'appartement et qui laissent une odeur de cramé dans la cuisine, mais j'en raffole. Quinze fois par semaine, je décide de changer mon alimentation et ma façon de consommer, avant de commettre tout autant d'entorses à mes belles résolutions. Paris se vide au mois d'août, sauf le restaurant-traiteur argentin minuscule à la devanture bleue, qui profite de l'été pour étendre ses horaires. La jeune femme adorable qui y officie me demande si j'ai déjà goûté la sauce chimichurri. Quelques minutes après, je dévale la rue avec mon sac en kraft contenant trois empanadas brûlants et la petite sauce merveilleuse.

 

16 mars 2015

Finir le blog en ayant revu les Soeurs Boulay - Passion boucles.

 

 

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J'aurais voulu garder et approvisionner cet espace jusqu'à ce que la vie se conforme à nouveau à mes désirs. Je fais pareil pour l'appartement, impossible à quitter tant il représente le vestige d'une construction de vie à deux, la dernière prise sur une potentialité de nous. J'en suis lasse depuis des mois et puis, au printemps je le sais bien, le temps sera joli mais c'est tout et c'est triste. (Ahlala.)

Peut-être suis-je le genre de personne qui se précipite trop pour mener les choses à leur terme. Je n'ai plus très envie d'écrire ici, où le secret imparfait et public rend, une fois de plus, ma démarche trop contradictoire pour durer. J'essaierai de réinvestir les carnets et les lettres, la parole c'est déjà fait.
J'essaierai aussi de remplacer l'écriture hâtive, les billets d'insomnie et ceux écrits pour sauvegarder le papier (je suis de cette génération qui fait - à tort - instinctivement confiance à la mémoire informatique). J'aimerais les remplacer par les lectures que je suis fatiguée de repousser. En dévorant Retour à Reims* dans chaque trajet de métro (empruntant parfois un itinéraire plus long pour lire quelques pages de plus), j'ai pris conscience de ce que les livres me manquaient de façon insupportable, sans jamais parvenir à trouver de place dans mon quotidien.
Il faut dire que je n'ai jamais su trouver de rythme de lecture convenable. Enfant et adolescente, j'avais le temps de leur consacrer mes nuits ou des après-midi entières. Cette activité ne supportait que peu d'interruptions et m'absorbait totalement. Le réel avait sa place entre deux livres, mais quand j'en ouvrais un, il fallait réduire au maximum le temps qui me séparait de la dernière page.
Alors donc, il va falloir apprendre - si tard malheureusement - la lecture patiente, pour renouer avec elle. Pour ne plus me passer du plaisir invariable et sortir enfin du sentiment de honte et d'imposture.

Tant pis pour les baisers, les balades main dans la main et les heures volées au soleil à deux. Au printemps il n'y aura pas un jour sans livre, on (de royauté) verra plus tard pour le reste, on laisse faire. Au hasard Balthazar, etc.

 
*Je me sens un peu idiote d'avoir été bouleversée par le récit d'Eribon (bien davantage que par Annie Ernaux). Un livre n'avait pas occupé autant mes pensées depuis...




I\'m Your Man by Leonard Cohen on Grooveshark','hspace':null,'vspace':null,'align':null,'bgcolor':null}">


Merci d'être passés ici et merci pour vos petits mots/conseils tout doux qui m'ont donné le sourire souvent!

 

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9 mars 2015

How can a train be lost? it's on rails

mars

 

 

 

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2 mars 2015

Dérivant à bord du Sampang / L'aventure au parfum d'Ylang-Ylang

 

Instant musical préambulaire:

Je trouve que D. Saez s'imite en moquerie plutôt qu'il ne s'écoute, sauf sur Marguerite. Cette chanson me donne l'impression d'être une adolescente qui s'émouvrait de toutes les chansons d'amour qu'elle écoute (ce n'est absolument pas qu'une impression). Mais quand c'est comme un parfum de nocturnes qui aurait le goût des levers du jour et que c'est dans le mille à tous les coups, j'ai toujours envie de remplacer Marguerite par un autre prénom et d'autres fleurs.

 

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C'est mars et les vacances sont finies. Mes grands projets de vacances sont restés lettre morte (je surestime toujours largement ce qui peut être mené en une semaine) et j'ai du mal à ne pas gémir sur le temps qui file trop vite. Je crains la fin de cette année peu appréciée, à cause des incertitudes trop grandes qui rendent la suivante menaçante. De plus en plus souvent le matin, j'aimerais son ventre près du mien pour tordre le cou aux angoisses de la nuit. Ventre chaud mais ventre absent.

Comme j'ai des peurs de luxe, je ne crains pas de n'être choisie nulle part. Je crains de devoir quitter mon appartement et/ou Paris. 

Le sol de l'appartement m'exaspère: le parquet trop ancien et mal entretenu, le linoléum (chez W. Anderson la rumeur veut que les renards y soient allergiques) moche de la cuisine, le carrelage aléatoire de la salle de bain. Je n'aime pas que l'installation électrique soit trop vieille pour être fiable et que le courrier dépende de l'humeur de ma concierge. Je n'aime pas trop vivre dans les souvenirs*, même si les pièces à vivre ont drôlement changé. 
Mais j'aime la peinture bleu-vert qui s'écaille déjà dans la petite chambre. Nous l'avions posée maladroitement, durant un été joyeux sous le regard dubitatif du chat angora d'Ae que nous gardions. J'aime l'étagère à épices et celle où s'alignent les bouteilles asiatiques. Elles provoquent parfois des soupirs - d'admiration ou d'exaspération, c'est selon - parmi mes fréquentations estudiantines. J'aurais du mal à me séparer du paravent et de la table basse, absolument inutiles et encombrants mais évidemment indispensables. La table basse avait été préemptée dans le petit stock mobilier familial, grâce à une chanson d'une efficacité redoutable improvisée au ukulélé (et grâce à la générosité que tous les membres de ma famille - moi exceptée - ont en commun).
J'aime mon quartier et mon arrondissement; ses lignes de métro; le magasin asiatique où il y a tout (du moins l'essentiel: une machine à pâtes et un griffoir pour L. Tigrinus); l'échope minuscule qui ne vend que de la coriandre, du persil et de la menthe; la rue qui est un escalier; la boutique de thé où les vendeurs ont les yeux bleus; la boulangerie qui fait du bon pain mais qui est toujours fermée; et cent autres choses encore. 

J'invite des amis, j'essaie d'en profiter, seule ou avec les personnes que j'aime. J'essaie de ne plus l'encombrer, même si je n'ai pas pu résister à l'achat d'une deuxième théière qui sert aussi de cafetière et que je suis assez obsédée par l'idée d'acquérir de nouvelles lampes. Si je déménage, ce sera forcément dans plus petit et je n'ai aucune idée de l'endroit où iront toutes ces affaires. Mes affaires, celles de R., les affaires dont nous ne voulons pas nous séparer totalement. La liberté et la flexibilité sont sans doute plus faciles quand on sait certaines choses immuables. Une chambre à soi chez les parents jouerait peut-être ce rôle s'il y en avait une. 

 

Il me reste environ quatre ou cinq mois sûrs pour extirper à cette ville tout ce qui me manquera s'il fallait la quitter. Challenge impossible: épuiser Paris. Je retourne dans les musées, je me glisse timidement dans les concerts, je multiplie les balades et je dédie un budget aux cafés. J'aimerais savoir dire tout ce que j'aime de Paris mais c'est peine perdue, je n'arriverais jamais à être assez exhaustive. Il est étrange que je ne me lasse pas de cette ville inconfortable qui n'en fait qu'à sa tête. Tout y est trop étroit, trop petit, trop cher, trop inaccessible, trop élitiste. Mais il y a aussi ce plaisir immense, en se baladant d'un quartier à un autre (c'est quelque chose que j'adore: ces paysages urbains qui changent sans transition), de tomber soudainement sur une rue déserte au charme particulier. C'est le puits caché dans une ruelle minuscule du quatrième arrondissement, près de la boutique d'une créatrice adorable dont nous espérions qu'elle ferait nos robes de mariées. C'est l'étrange grange en bois, somptueuse et effrayante quand on la découvre de nuit, dans une impasse près de Pigalle. Il y a aussi les rires au milieu des vélos et trottinettes bricolés pour la course annuelle du criterium sauvage dans la rue des Cascades.
Je m'arrête là, j'aime sans doute tout simplement cette ville parce que je m'y sens chez moi. 

* C'est un très gros mensonge.

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Ce qui est vraiment mignon dans Main dans la Main de V. Donzelli (c'est d'ailleurs tout l'intérêt du film - voire le seul, mis à part la scène où Elkaïm fait du Pina Bausch), c'est la métaphore bien trouvée pour les personnes qui ne parviennent pas à se quitter. 

Il semblerait qu'au cours des derniers mois, nous ayons réalisé la prouesse de vivre encore plus ou moins ensemble, avec suffisamment de discrétion et d'intermittences pour ne pas nous en rendre compte nous-mêmes. C'est assez amusant de ne pas se rendre compte de son propre secret. 
Un jour où elle était rentrée chez elle et où ça faisait mal dans le ventre, je me suis demandée pourquoi je souffrais encore de ses départs alors que nous avions cessé de vivre ensemble depuis des mois. Et puis en fait nous n'avions pas vraiment tout à fait cessé. 

Normalement, le trajet porte à porte dure quarante minutes. Nous n'en mettons toujours que trente. 
Je mets trop de cannelle dans mon riz au lait et je songe à nos maladresses. Les siennes me touchent infiniment et je désespère un peu de trouver une issue à notre impasse (sans grange ni réverbère). Je pose trois questions en chuchotant à mon auditoire très attentif: le chat et la petite cuillère pleine de cannelle. Des questions que je n'ose poser à personne, surtout pas à Mme C. ou Mme B. que je n'ai plus envie de voir. Encore moins à K. qui, dans la pièce d'à côté, cultive son inculture et son immaturité le nez scotché à sa tablette. Comment on se quitte quand on s'aime? Comment on se quitte quand on n'en a pas envie? Comment on se quitte quand on n'est déjà plus ensemble?
On souffre beaucoup sans savoir quoi faire. Parfois on agit et c'est trop dur, alors on n'agit plus mais c'est trop dur aussi. On n'est pas comme chez Tricot Machine et on pourrait étoffer notre album imaginaire d'une reprise parodique: On est grave faites en chocolat. Et puis moi qui ne croyais pas si bien dire en énonçant pour la millième fois à L., au-dessus d'un bol de ramens qui ne goûtaient toujours pas le Japon, Oh tu sais, c'est compliqué...

 

18 février 2015

Si j'avais le coeur dur comme de la pierre / j'embrasserais tous les garçons de la terre

 

Quand j'ai vu Mathieu Boogaerts j'ai souri en grand. Jeanne Cherhal lui a succédé pour chanter la chanson que j'aime tant (et qu’elle n'avait pas chantée lorsque je l'avais vue en concert avec C. à l'époque du lycée). A ce stade j’avais déjà plus ou moins envie d’embrasser tout un chacun. Quand Albin de la Simone est arrivé en déclarant que lui aussi faisait la première partie de Vincent D. j'ai poussé des petits "hu hu hu". Puis, quand Alain Souchon* est entré sur scène, la femme devant moi a glapi et a serré son copain si fort contre elle que j'ai cru qu'il mourrait comme ça, étouffé au cours d'une soirée Delerm.

Avant, j'estimais que Robes était ma chanson préférée des Amants Parallèles. Mais quand même Barbès le soleil, mais quand même les choses de la vie d'avant. Finalement je les aime toutes infiniment, et j'ai été très émue de l'entendre chanter que c'est fort les matins quand on est enfant.
La dame de derrière a révolutionné le concept de l'alternance une-chanson-sordide-pour-deux-chansons-joyeuses en riant à chaque couplet de Deauville sans Trintignant (le sens de l’humour des autres est parfois intriguant). Le monsieur d'à côté connaissait toutes les chansons par coeur et y mettait beaucoup d'entrain. C'était drôle, doux, malicieux et touchant comme en CD, mais en mieux.
J'ai cru qu'on finirait sur l'Heure du thé et j'avais déjà les yeux bien humides, la voix un peu éraillée et les mains en feu. C'était sans compter la ténacité de son public (un tiers du concert a été constitué de standing ovations et de rappels multiples, chaque fois honorés avec beaaaauucouuup d’émotion). Je ne sais plus si la soirée a véritablement fini sur Tes parents mais je me souviens du petit pincement au coeur éprouvé. Par hasard, le siège à côté de moi était vide (et c'était vraisemblablement le seul de toute la salle).

Il y a eu Emmanuel Ceysson qui jouait du Britten à la harpe de façon très sexy. C'était chouette, c'était avec R.
Il y a eu Pommerat, une Réunification des Deux Corées attendue avec un peu d'anxiété et beaucoup d'excitation. C'était merveilleux, suffocant, intelligent. C'était avec R.
Il y a eu Hokusai avec beaucoup trop de monde, l'attente dans le froid, mais aussi une dame fascinée qui nous confiait prendre des photos en secret Parce que les catalogues sont jamais complets, avant de nous montrer son dessin préféré où les reflets de l'eau étaient tracés en relief avec le bois du pinceau. C'était joli et délicat, c'était avec R.
Il y a eu Niki de Saint Phalle, à vingt-et-une heure au pas de course, la tête qui tourne dans les salles presque vides du Grand Palais. C'était grandiose et poignant, et c'était aussi avec R.

J'ai dit non à Th. une bonne dizaine de fois ce mois-ci. Il y eut quand même un pique-nique d'oranges sanguines, après lequel nous avons honoré notre carte illimitée dans la petite salle de concert qu'on atteint en traversant - au choix - Pigalle ou Montmartre. Nous avons fait vibrer notre rangée de sièges en ne tenant pas en place, enthousiasmés par une basse, un violon et une voix nonchalamment séduisante**. Avec nos sacs en tissu assortis, ses petits mouvements de bras, mes petits mouvements de jambes, nous formions un duo éligible au prix du meilleur public de l’année.

Un autre soir,  nous avons décidé avec R. qu’elle irait voir Emily Loizeau avec L’autre plutôt qu’avec moi. Après coup, je me suis rendu compte qu’en cinq ans, nous n’avions jamais assisté à un concert ensemble (les concerts de musique classique ne comptent pas – les gens qui y chantonnent en même temps que l’artiste méritent [tortures diverses]).
La nuit d’après je rêvais de tigres fantastiques. Au réveil, j’ai oublié pendant quelques secondes qu’il ne me suffisait pas de me pencher de l’autre côté du lit pour le lui raconter.

Assise près de L. (qui est incroyable de fraîcheur et de spontanéité) et de son amie D. (qui est très grande et très timide) j'ai pensé à elle souvent. Tous mes livres d’Anne Wiazemsky m’ont été offerts par elle, c’est devenu un rituel implicite je suppose. J’aurais voulu dire à A.W. combien, dans son cycle autobiographique, son personnage me fascine et m’attendrit autant que les grands noms qui l’entourent; je n'ai pas osé. Atteinte d’une superstition soudaine, je n’ai pas rouvert son dernier livre pour le lire, de peur que la dédicace encourageante qu’il contient ne puisse servir qu’une seule fois. 

 

 

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Ces dix jours où il faut (l') attendre me paraissent longs. Elle préciserait "je ne t'ai rien promis" et elle aurait raison. Comme au bout de ces dix jours il y a aussi des vacances, je peux tricher en apparence sur les raisons de mon impatience. Mes envies d'écrire sont chahutées, elles disparaissent habituellement quand la vie s'emballe trop vite pour prendre le temps des mots, pour revenir maladroitement et étourdies. La vie ne s'emballe pas, moi oui, toujours.
Mme C. me demande comment je vais et je réponds Plutôt très bien, quand elle me demande comment se passe le mois je réponds Plutôt mal

Pour contrer les peurs, je ris beaucoup. Avec N. qui me propose sa complicité autour de bonbons au chocolat. Avec An. qui continue de m'enlacer même si elle sait, et avec qui je m’adonne au déballage intime sans égards pour la dame du café qui fait des muffins à deux mètres de nous. Je ris avec Cl. qui me confie qu'elle m'a adorée dès notre première entrevue, alors que je lui annonce ma joie d'être tombée par hasard sur elle dans ce grand amphithéâtre inconnu. Avec R. aussi, dans les instants volés aux dix jours, tant pis pour les jambes qui fuient quand son rire est léger. Il y a le plaisir de l'entendre rire encore alors que nous nous éloignons l'une de l'autre dans l'escalier secret.
Je ris avec T. et C. sa colocataire, qui semble aussi attendrissante que psychorigide. Leur amitié improbable me rend joyeuse et nous programmons une fin d'année studieuse.
Alors voilà, c'est ça l'idée: faire des tas de plans réjouissants pour compenser l'incertitude. Sauve qui peut la vie***.

 

* Et quand A.S. s'est tenu juste à côté de moi pour écouter la fin du concert je n'en menais pas large non plus.
** Celle du chanteur de Clint is Gone.
*** Malgré moi, en écrivant ça, je pense plus facilement à A. Beaupain qu'aux beaux visages de N. Baye et J. Dutronc chez Godard.

 

34-La vie ne vaut rien by Alain Souchon on Grooveshark','hspace':null,'vspace':null,'align':null,'bgcolor':null}">

 

1 février 2015

No nonsense makes no sense at all

 

Dans la pièce exiguë où le tissu bleu me nargue, je réprime des soupirs d’impatience et l’envie de dire Si vous ne m’aidez pas un peu plus, je vais en avoir pour la vie, et je n’ai pas le temps.

  

NIKI

(Niki de Saint Phalle, obligatoirement sujet du prochain billet)

Mon aspiration au calme ne trouve que peu d’applications. Je remplace les chamboulements personnels par des chamboulements artistiques en enfilade. Plusieurs fois par semaine, j’ai le regard troublé, les jambes qui vacillent et le cœur submergé qui ne sait plus prendre à la légère. On pourrait identifier des cycles dans les huit derniers mois et je me demande: peut-on avancer en tournant en rond ?

Maintenant la nuit me fait peur. La nausée s’installe tout doucement quand, dans le noir, mes yeux ouverts ne trouvent pas le sommeil. Les émotions vont trop vite, l’enthousiasme et la joie filent sans prévenir en laissant des creux douloureux aux endroits où, l’instant d’avant, ils pulsaient encore.
La fille aux collants est de toutes les insomnies et me fait découvrir le pessimisme malgré elle. Quand dort-elle ? Qui d’autre que moi s’inquiète de sa détresse ? J’ai peur d’être la seule à m’être imposée dans sa vie en affection enthousiaste sans qu’elle ait eu le temps d’ériger ses habituelles barrières. La distance équilibrée avec les détresses empêtrées dans leur solitude m’est difficile à trouver.


La fin du mois de janvier ressemble à mon été. La pluie et le froid en plus, certaines présences en moins. Un jour où je m’étonne pour la millième fois d’être si émotive et fragile sans savoir si ce sont des états éphémères ou des composantes de moi, une angoisse supplémentaire et inexpliquée se fait ressentir. Je ne crois pas aux connexions instinctives mais aux coïncidences et à l’attention accrue que l’on porte à certaines personnes. J’apprends par la suite que R. faisait au même moment un malaise à l’autre bout de Paris. Au téléphone nous rions de sa mésaventure, mais l’inquiétude prend le dessus quand l’incident se reproduit le lendemain. Auprès de M., pour réprimer la crainte, je plaisante « Décidément, on vit merveilleusement la séparation ».
Je ne sais pas exactement ce qu’elle vit, je sais pertinemment qu’on a dépassé la simple complexité amoureuse, que d’autres poids se sont invités. L’impasse me semble inextricable, mon impuissance à apaiser me pèse, les sentiments et les rôles s’emmêlent, je ne sais pas si je suis aussi bourreau ou une présence indispensable. Comment être une présence apaisante quand, par ailleurs, on décrète la distance ? Je suis mêlée, mêlée, et Th. m’assure « personne ne dit plus tourneboulé de nos jours », dommage le mot était parfait.
Je répète deux fois C’est tellement dommage tout ça. Il me serre contre lui et la soirée devient plus légère.

En me trompant de couloir souterrain dans mon itinéraire quotidien je me demande : les lignes de métro que l’on préfère sont-elles celles que l’on emprunte par amour ?

 
*****

Depuis longtemps maintenant, il ne m’inspirait plus de colère ou de révolte. De l’agacement parfois, un peu d’impatience, beaucoup de tristesse, une certaine pitié. Lui qui n’existe jamais qu’en coup de vent, toque à ma porte et reste une heure dans ma chambre. Je l’observe quand il s’installe dans mon fauteuil, il ne dit rien sur mon appartement (les rares autres fois « c’est pas super bien rangé » ou « t’as vraiment des dvd de bobo »). Sa peau est douce – comme s’il était impensable qu’elle se ride un jour – mais il a l’air vieilli. Je calcule son âge mentalement en essayant de ne pas prêter attention à son parfum trop fort qui me soulève un peu le cœur. Il a dépassé les cinquante ans et fait à la fois plus vieux et plus jeune, il a encore une angine, il me parle de ses pompes et abdominaux quotidiens en exhibant son bras.
Ses refrains habituels, mes oreilles distraites.

Sa présence me trouble et fait feuler le chat. Puis, il prononce avec légèreté des mots durs, une insulte vulgaire avec un air de connivence naïf, il pense que je vais rire à sa plaisanterie. Je suis mi-lasse mi-révoltée, j’invoque le respect élémentaire, le refus de la grossièreté. Il écarquille les yeux sans comprendre. Tu es trop passionnée, on ne peut pas discuter, tu es encore amoureuse ?

Le ton monte et il s’enfuit.
Quand j’étais petite, je réclamais des bagarres à mon père, je rêvais de le terrasser, de m’asseoir sur son dos pour savourer mon triomphe, mais il ne me laissait jamais gagner.
Pendant un instant j’en rêve à nouveau, profiter de cette fatigue qui ne le quitte plus pour piétiner ses incohérences, sa bêtise, son arrogance, ses défaites, sa lâcheté, en profiter pour le piétiner lui. Le sentiment violent ne dure que quelques secondes avant que je ne ressente ma propre fatigue. Je le raccompagne et lui souhaite un prompt rétablissement.

A dix-sept ans je constatais qu’on ne peut pas forcément changer les gens qu’on aime. J’en concluais que la réponse la plus saine aux imperfections parentales était l’éloignement, comme quand on s’éloigne de vieux amis avec qui on ne partage plus grand chose.
A vingt-trois ans je lutte pour ne pas faire de mon empathie une condescendance humiliante. Je ne cesse de mesurer les distances étourdissantes qui peuvent séparer les  intérêts, la culture et surtout les valeurs des membres d’une même famille. Quand Cl. me parle des intolérances affreuses de sa mère, j’essaie de la rassurer doucement. Au fond je suis aussi abasourdie qu’elle et je ne sais toujours pas bien comment gérer l’affection pour des personnes qui se révèlent si étrangères à nous.


26 janvier 2015

What a lovely way to burn - mais Puissance Quatre serait plus adaptée


Dans sa lettre, G. m'indique discrètement, par une petite phrase, qu'elle sait. Quand on est une âme sensible, l'amour est toujours un sujet hyper-sensible...
Je me demande comment lui faire savoir que je sais un peu moi aussi, que je m'inquiète terriblement, que je devine bien la peur qui doit l'étreindre et le courage qu'elle ne sait peut-être plus où chercher. Il y a des lettres qui me font sourire au-delà des oreilles, des lettres qui me donnent envie de répondre dans la seconde mais où je mets finalement beaucoup de temps pour écrire en retour (toutes), des lettres que je laisse traîner sur le bureau l'air de rien pour pouvoir les relire après...Et puis il y a des lettres comme celle de G, qui me donnent envie de débarquer chez elle, avec ma banderole géante "je tiens à toi, promis juré je laisse plus passer douze mois de silence". Je sais bien qu'elle a sa vie de famille, que je ne peux pas lui parler comme à une amie intime et qu'on ne débarque pas chez les gens, mais quand même ça me démange. Je pense à ses longs cheveux et je m'aperçois que c'est la première fois que je vois son écriture.
Janvier le coeur un peu froissé, hein.

 

Tankstelle



Les défis, les challenges, j'aime ça. Je fais des sourires gourmands quand on me propose un jeu, je m'y prends avec une joie sincère. J'aime le vocabulaire qui va avec: les team, les crew, le compte à rebours, les "c'est parti", les joker, les cup, les danses de victoire. Sur mes bulletins scolaires en sport il y avait toujours écrit - en substance - "élève nulle mais très enthousiaste".
Au collège, par un mystère que je ne m'explique pas, j'ai participé volontairement à des interclasses de basket-ball, puis à un CROSS régional où des filles portaient des crampons et où certaines d'entre elles sont tombées dans un (petit) ravin. Je n'avais visiblement pas été suffisamment démotivée par l'unique concours sportif auquel j'avais participé vers six ans: un concours de saut d'obstacles organisé au centre équestre tenu par les parents d'une camarade de classe. Je n'avais aucune idée de comment j'avais atterri là (j'étais un peu à côté de la plaque comme gamine) et mon poney n'a pas voulu sauter.
Avec les années, j'ai fini par me calmer, par comprendre que mes aspirations compétitives ne s'épanouiraient pas forcément en sport, et par admettre que je n'éprouvais aucun attachement pour les poneys. A l'époque où je mangeais de l'ovomaltine à la petite cuillère et en cachette, je me suis contentée d'organiser des soirées jeux de société et de m'adonner à divers défis scolaires.


Ça m'amuse toujours la vie en jeux et je ne suis pas mauvaise perdante.
Quand elle quitte l'appartement, j'ai un peu d'excitation. Dans ma tête je dis "à vos marques, prêts..." et ça chasse la tristesse. Pour elle c'est quinze jours de calme, de repli, de solitude déculpabilisée, de solitude sans tentations et de vie réappropriée. Elle n'a pas l'air enchantée. Pour moi c'est quinze jours de concours, on disait ça avec un air sauvage parfois C'est le gaaaaame (de cats), on n'y gagne rien d'autre que la victoire, mais c'est excitant quand même.
Le but c'est d'être celle qui se débrouille le mieux sans l'autre; d'arriver au bout des quinze jours et de faire celle à qui ça ne fait rien. De faire celle qui veut bien prolonger sur d'autres jours, d'autres semaines et d'autres mois. Le but c'est de se détacher en prem's, comme dans les cours de récréation.
Je t'aimerai plus, prem's, sans refus, oeil de lynx, aigle noir, à toutes les parties.


Au fond du ventre, je sens bien que je vais perdre parce que c'est un jeu pour perdre en s'amusant. Mon optimisme persistant tente de brouiller les pistes, il y aura peut-être des imprévus, il y aura peut-être des victoires différentes, à la fin (on ne sait pas comment ni quand) ça finira bien. Entre deux moments de coeur léger, je pense à tous les bouts d'elle dans ma vie, dans notre vie toute emmêlée. Je me dis que c'est la personne que je préfère au monde (et je m'en veux de penser des choses aussi niaises).
Ça fait très peur, mais il paraît que C'est le gaaaaame.

Dans le couloir, j'ai dansé n'importe comment
Tu m'as regardée sans bouger en souriant
Et la chanson qui nous ressemble, un peu yéyé
De notre film de Miyazaki préféré
Ça serait une chouette chanson d'adieu. 

 

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22 janvier 2015

Du soleil vert, des dentelles et des théières

 

Un immeuble sans boîte aux lettres

En face il y avait un couple japonais.
Longtemps le jeune homme a vécu seul, il avait des gestes délicats et des T-shirts sombres bien coupés. Puis, une jeune femme tout aussi délicate a emménagé avec lui. Ils cuisinaient ensemble, souvent en même temps que nous. Je trouvais que ce couple discret allait bien avec le nôtre, de part et d’autre de la cour de l’immeuble.
Les japonais ont été remplacés par un gros monsieur dégarni, avec une barbe d’ogre. Il veille tard et hurle dans son téléphone à en faire trembler les murs (et moi) quand l’électricien dépanneur est en retard. Il lui arrive de se balader nu ou dans un peignoir atroce. Depuis qu’il a remplacé le joli couple, je songe souvent à installer des rideaux de ce côté-là de l’appartement.

La dame au-dessus a emménagé après deux mois de travaux bruyants. Nous avons beaucoup joué à deviner son métier, sans jamais réussir à identifier ses horaires. Elle aime assurément la musique et nous l’imaginions occupée à enregistrer des albums pointus de soul, de slam électro et de hip hop dès huit heures du matin jusque minuit passé, heure à laquelle elle nous a confié préférer rentrer en taxi (« Je lui demande de m’amener jusque devant la porte d’entrée, je ne me sens pas en confiance sinon »). Elle invite souvent des amis qui ont l’air très joyeux et mélomanes. L’isolation de nos appartements étant mauvaise, j’entends parfois son portable vibrer ou l’eau couler quand elle prend sa douche.
Un soir, elle est descendue nous demander de faire moins de bruit : ma sœur – qui était en visite – et moi nous étions disputées à propos de notre beau-père. Malgré les tentatives de R. pour nous calmer, nous avions passé un certain temps à nous hurler des injures comme cela nous arrive encore (de moins en moins heureusement). J’étais morte de honte en allant ouvrir la porte.
Elle n’est jamais redescendue, ni pour les cris pendant la rupture, ni pour les pleurs après.


De l’autre côté du pallier, il y a une mère acariâtre et possessive, sa (grande) fille très gentille, et le violon de cette fille. La rumeur veut que la fille ait commencé le violon avant de savoir parler. Je ne connais pas exactement son âge, mais ça doit bien faire vingt-six ans. Quand je l’entends jouer (tout le temps), je comprends par contraste le génie des grands interprètes. Je dis des choses méchantes comme « Mais qu’elle le bouffe son violon »  quand elle reprend pour la millième fois la même mesure de Vivaldi, avec une incapacité manifeste à en reproduire la beauté. Je m’adoucis parfois en l’entendant jouer sans s’arrêter un air inconnu et harmonieux, « Elle a progressé ce matin ! ». Je lui souhaite malgré tout de réussir un jour à percer dans la musique et d’enchaîner des contrats à l’étranger qui lui permettraient peut-être d’échapper à sa mère. Quand je la croise dans l’escalier nous échangeons de grands sourires silencieux. Un jour, R. s’est mise à imiter la chanson du Roi Lion de façon stridente et décomplexée, en sautillant derrière la porte pour m’accueillir, alors que la voisine était encore sur le pallier. Elle l’évite honteusement depuis.

 

Au troisième, il y avait Monsieur B.
On ne le connaissait pas bien. Un jour, nous avions été invitées à boire le beaujolais nouveau chez lui avec la concierge («  je suis venue avec les p’tites du deuxième »). Il avait soigneusement préparé la table : une nappe couleur vert bouteille, plusieurs saladiers de gâteaux apéritifs et une chemise boutonnée jusqu’en haut. Nous n’avons jamais aimé le beaujolais, mais la soirée avait été festive. Monsieur B. ravi, nous avait raconté avec un enthousiasme débordant les différents métiers qu’il avait exercés dans sa vie, au fil des hasards et de l’Histoire. Cette succession d’emplois invraisemblable m’avait fait penser à Doinel, et il était difficile de ne pas se prendre d’affection pour cet homme qui était le doyen de l’immeuble et qui avait une anecdote à raconter sur chaque ancien locataire.
Quelques mois plus tard, Monsieur B. est décédé et sa fille est venue à Paris pour s’occuper des formalités et de l’appartement. Je crois qu’elle ne l’a pas mis en location.

 

Quand dans le hall je croise des têtes inconnues, je me prends à rêver qu’un Perec raconte les histoires de chacun de ces locataires dont je ne sais rien. Elles ressemblent à quoi les vies de tous ces gens qui ont la même adresse que moi ?


serge c 

 
Crédit photo: Serge Clément.
Il fait actuellement l'objet d'une exposition au Centre culturel canadien à Paris. C'est très bien fait, pointu, agréable (et gratuit!). On y constate la magie de l'illusion bidimensionnelle, une obsession des filtres naturels, de l'humour, de la mélancolie et du sordide quotidiens comme seule la photographie peut les capter et les révéler. 

Janvier en petite société


Comme nos réorientations ne se sont pas faites en même temps, nous avons échappé au scénario du couple d’amphithéâtre. Elle avait une année d’avance, nos fréquentations n’étaient pas les mêmes et elle appelait mes amis de fac tes petits potes.
Depuis mon changement d’université, elle ne connaît pas mes professeurs, nous ne nous retrouvons plus dans les couloirs avec un sourire de soulagement, et nous ne nous disputons plus derrière la machine à café (parle moins fort tout le monde nous regarde). Pourtant, les nouvelles têtes qui me sont désormais familières s’associent dans mon esprit sous le même intitulé qu’avant: mes petits potes.


Pour aller de Saint-Michel à l’appartement d’A., il faut passer devant une chocolaterie qui fait des énormes pingouins en chocolat. J’aimerais prendre une photo, mais ma batterie rend l’âme avant.  
Selon N., le studio d'A. ressemble aux appartements étudiants parisiens dans les vieux films. Je me demande de quels films il parle mais je ne lui dis pas, nous baillons au-dessus de nos bols parsemés de clémentines, tandis qu'An. prépare des œufs brouillés (des vrais, et une vinaigrette au balsamique qui ira parfaitement avec les tartines à la confiture de figue).
A. ne mange pas beaucoup, assis derrière son piano à enchaîner les airs connus sous nos cris enthousiastes, (excessivement) admiratifs et joyeux. Peut-être que le point commun des étudiants en droit c’est un amour pour les associations musicales douteuses. Les chansons déterrées la veille (quelqu’un a mis Beyoncé et les Spice Girls, ce n’était pas moi, je me sens soulagée et beaucoup moins vieille depuis) avaient déjà annoncé la couleur. En nous resservant du fromage blanc et du granola, nous réinventons Stand by me avant de pousser la voisine d’en face à fermer sa fenêtre sur Polnareff. Derrière nos pitreries, je décèle qu’An. n’a pas seulement des petits talents en cuisine et en danse, mais qu’elle chante aussi très bien.

Quand L., Cl. et N. me disent « la prochaine fois on fait le brunch chez toi », je me sens rougir et bredouiller. Oh la la chez moi.
Puis je me dis qu’après tout, ils ont l’air de m’apprécier en sachant que je décline un verre le samedi soir pour cause de sortie à l’Opéra (je crois que ça les amuse) et qu’il suffira de décrocher les listes que je n’assume pas auprès des petits-potes-de-moins-de-douze-mois. Secrètement, j’espère que M. ne renversera pas de bière sur mon parquet en tentant de faire des prises de judo entre deux accolades trop tendres (avant de me souvenir qu’on ne brunche pas à la bière). Je repense aux soirées avec les amies de prépa où l’on finissait par se photographier hilares dans des poses lascives avec un dictionnaire d’allemand unilingue. Je repense à mon club de lecture plein d’inconnues que j’invite sans hésiter chez moi, sans décrocher aucune liste.  
Je finis par sourire en pensant Mamie Eloustic apprend à devenir jeune, allons-y les petits potes. 


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