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La vie rousse
16 novembre 2014

Les Salades de l'amour, un roman Flammarion





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(Pour ceux qui seraient restés sceptiques quant au potentiel de cadeau idéal que constituent les BD,
j'invoque le talent de Catherine Meurisse en dernier argument)



* * * * * *
 

Vendredi soir j'ai raté la moussaka, mais de toute façon ce n'est plus la saison.
Vendredi soir j'ai même raté le brownie. Tout simple le brownie, deux cent grammes de chocolat noir, cent grammes de sucre (pas n'importe lequel d'après beauàlal', alors j'ai mis le meilleur que j'avais), cent grammes de beurre, etc. Des dosages simples, des chiffres ronds.
Faut dire que pour lire les recettes avec les yeux pleins d'eau, c'est compliqué. A force de dépit torrentiel, j'ai les paupières qui pèlent et ça fait comme des grains de sable dans mes cils.


C'est revenu comme ça, tout sournoisement, un peu moqueur.
Un jour, assez fière, j'ai écrit quelque part "ça fait un moment que je n'ai plus pleuré dans mon lit à cause de R. le soir", et puis le lendemain j'ai pleuré dans mon lit à cause de R. le soir. 
C'est revenu sans prévenir, pour rien, l'attente impatiente, le genou qui s'agite, les doigts qui pianotent, le temps qui se perd beaucoup, la vie en suspend.
A nouveau les heures immobile devant le bureau sans savoir ce que j'attends. Le temps passé à m'énerver parce que rien ne se passe, parce que quatre heures c'est long et que pendant ce temps il y a mille choses importantes à faire, mais le corps qui gémit je peux pas, j'attends et je ne peux rien faire tant que ça n'arrive pas.
Et puis ça n'arrive pas.
Et puis c'est normal parce que c'est elle que j'attends encore. C'est aussi elle que je cherche dans les autres visages; que je cherche partout entre les lignes, dans les lignes, derrière les lignes, sous les lignes, les pages blanches, les pages pleines, et puis qu'est jamais là.
J'attends des heures durant que la vie recommence. Pas la vie en triste qui me gonfle, pas les films tristes, les poèmes tristes, les oeuvres qui émeuvent aux larmes, non. Pas la vie en touches de joie, une joie de pointilliste flemmard, qui dure jamais toute une semaine. Pas non plus la vie détraquée à faire cent résolutions par jour sans en tenir une seule.
A la fac je m'enfuis après deux jours à faire du copinage de machine à café, à discuter avec des gens qui vivent vraiment, qui sont vraiment là, prêts pour le stress, pour la concentration, pour la présence. Face à eux je me sens fantôme et la voix au fond du ventre gémit encore, moi aussi avant j'étais comme vous.

Quand il n'est plus question de ne pas comprendre et que c'est trop insoutenable, je lui dis.
Partout je cherche toi. Tout le temps j'attends toi. Dis, c'est quand la joie?
Et après je rate des brownies.

* * * * * *



Samedi j'hésitais devant une bouteille de thé vert glacé, en me demandant s'il était bien raisonnable de céder chaque fois à la tentation des boissons industrielles. Elle a dit au téléphone "Tu veux aller voir Delerm seule? Au mois de janvier? Mais c'est déprimant!".
L'accent sur le seule a fait trembler mes genoux et j'ai mis la bouteille dans mon panier.
Quand plus tard elle m'a écrit qu'elle ne me parlerait plus et qu'elle effaçait mon numéro, j'ai eu tout le corps en tremblements, tout le corps ébréché.
J'ai repensé aux autres étapes où c'est moi qui avais pris les décisions - on va vivre séparément, on ne se verra plus - et à l'espoir que j'ai nourri chaque fois, en me disant qu'elle allait se rendre compte que c'était beaucoup trop absurde. J'ai beau savoir, à force de lui faire répéter, j'ai quand même l'espoir comme un instinct de survie. Petit déni pavlovien. Chaque fois avec sa voix étouffée et ses tu me manques, l'espoir n'avait pas l'air tout à fait vain. Et puis elle a déménagé, et puis on ne se voit plus.

La suite: il parait qu'on ne guérit pas* mais je n'y crois pas trop.
Je vais sans doute oublier sa voix.
Je vais sans doute oublier nos mots: Moi (z') autre où on faisait la liaison avec un s imaginaire, comme pour un nous de majesté. Les mots à trois syllabes dont on ne gardait que la première plus une consonne: la dep, le guac, le sop. Les mots avec un ton de jeu et des sourires de gamines: juice, cute, show et best joy ever. Le concept secret de sms en morse, je t'envoie un Patto. Les mots pour intensifier: ça gère son chat, pur délice de life. On intensifiait un peu tout.
Pitos, pitous, pitance pour dire s'il-te-plaît. Doulos comme insulte ou comme surnom affectueux, selon les jours.
Tous les autres mots, toutes les expressions, et les références imaginaires que je ne peux utiliser avec personne d'autre.
Après il faudra les remplacer dans ma mémoire par de nouvelles voix, de nouvelles expressions, et j'essaie de me persuader qu'il sera possible d'en trouver des plus chouettes. Mais ça non plus je n'y crois pas trop.

De façon amusante, les deux personnes qui font revenir le sourire ont les mêmes initiales, F.T.
A la radio, je souris d'entendre Françoise Treussard s'emporter avec malice et enthousiasme dans une énumération des grands acteurs de comédies musicales.
Dans la salle Henri Langlois, je suis ravie de m'être obstinée à découvrir Jules et Jim sur grand écran (comme je suis vraiment née de la dernière pluie, je ne l'avais pas vu avant). Je ris beaucoup des dialogues succulents (au hasard: Si nous avions des enfants, ils seraient grands, minces, et ils auraient des migraines) et de petites moues très expressives. Les histoires douces-amères d'apparitions qui sont aussi des femmes (quel leitmotiv!) et d'amitié me font du bien.

Et finalement la chanson du soir n'est pas le Tourbillon (enfin si, dans mon coeur bien sûr que si), mais Nina Simone à la radio, qui semblait attendre mon retour auprès de L. Tigrinus pour commencer à chanter.

 

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Quelques secondes à peine après la fin de la chanson, les voisins du dessus reprennent Don't let me be misunderstood à la guitare, et la semaine qui s'est déroulée si mal s'achève un peu apaisée.
Au fond du ventre, l'envie d'enthousiasme ne se laisse pas faire et rappelle son existence obstinée.



* Malgré une enquête trépidante qui visait des voies bien plus underground, les trois parties du joli court-métrage d'Axelle Ropert sont finalement disponibles sur le site d'ARTE ici.

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Commentaires
E
Plein de petits points de joie mis bout à bout, ça finit peut-être par faire une grande ligne de joie, non ? Au début parce que l'oeil s'y trompe et puis pouf, un jour, les interstices qui disparaissent vraiment et la ligne qui trace un sourire indélébile ? Je pense que ça vaut la peine de tenter !<br /> <br /> Prends soin de toi, Eloustic.
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