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La vie rousse
21 novembre 2014

And eight, eight, I forget what eight was for


Les jours où je fais mes adieux au doux pour affronter le dehors


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Le dehors froid:


La vie étudiante me rattrape.
Sur mon bureau s'amassent les livres, les codes, les fascicules, les feuilles, les tasses vides.
Quartier latin, je fais la queue comme tout le monde, pour la même machine à café que les autres étudiants. Ce n'est visiblement pas la seule machine qui fonctionne, et la qualité des breuvages qu'elle produit ne saurait justifier son monopole, mais je respecte scrupuleusement la malédiction secrète qui semble affecter les autres.
Je passe beaucoup d'heures avec Cl. et sa petite bande. Je me laisse un peu déprimer par leur stress d'étudiants sérieux. Je me revois en eux, et le deuil pénible de mon statut de bonne élève a du mal à se faire. Souvent je regrette la compagnie de L., mais surtout celle de J. et P. dans mon ancienne université. Assez par hasard, je m'étais liée d'amitié avec des personnes qui, elles aussi, avaient fait des choses avant. En écoutant An. et les autres me parler de leurs fiches, du quotidien quand on vit chez ses parents, et des rencards sur Tinder, j'ai l'impression d'être au lycée. Le décalage est pesant et je ne soupçonnais pas qu'à nos âges, les différences de quelques années jouaient encore autant.

Je me laisse beaucoup effrayer par les sièges inconfortables, les courants d'air toute la journée, l'absence de refuge, le travail à faire qui ne laisse jamais l'esprit libre, et les mauvais sandwichs. A partir du mois de décembre, il faudra apprendre à renouer avec les amphithéâtres, les chargés de TD détestés qui infantilisent sans bienveillance, et le rythme fou qui se laisse si mal prendre en cours de route.

Le dehors presque chaud:

Pour me motiver, je regarde les dates plaisantes du calendrier, celles qui compensent le gros post-it "Taxe d'habitation! / Courrier SFR...".
Là: Le dernier Truffaut de la saison - j'ai juré de calmer mon fangirling après ça - avec une chouette quasi-québécoise. Les rendez-vous avec I. et Th., même si on n'a pas le temps, parce que Oh la la il faut trop qu'on se voie.
Fin novembre: le salon des plus beaux livres (avec son chouette pôle BD qui triche grave), les trente ans des Papous (parce que je suis une vraie groupie qui assiste à ce genre d'évènements et qui écoute ensuite le podcast avec beaucoup d'émotion).
Après: Pélléas et Mélisandre à Bastille, pour lequel on me verra faire les joyeuses heures de queue dehors, avec thermos de thé obligatoire. (Il y a beaucoup d'autres choses qui me font envie dans la programmation de cette année, mais ça me semble fichu vu que je n'ai pas réussi à obtenir de réservation, et que tout le reste joue à l'horrible-Opéra-Garnier-où-les-pauvres-n'ont-ni-de-place-pour-leurs-jambes-ni-de-place-de-dernière-minute-de-toute-façon.)
Ensuite, Pommerat pour se remettre des partiels.

D'ici là, je m'accorde des sauts à la librairie. Le rayon des livres d'art fait très envie. Le rayon cuisine aussi.
Je lis des choses qui me font sourire, notamment cette citation de J. Demy:

"J'espère que tout dans mon film paraît normal: la sorcière qui crache des crapauds, la rose qui parle, l'apparition de la fée des Lilas, jouée avec tout le talent de Delphine Seyrig qui, dans mon esprit, est une fée très humaine, assez égoïste et enquiquineuse.
Un mélange de Jean Harlow et des modèles de Botticelli, en quelque sorte."

(En quelque sorte absolument, je trouve.)


Au rayon poésie, on trouve des similitudes entre Anna Akhmatova et Gloria Gaynor.

Anna A




Le dehors, chaud-froid (le métro):

Ligne 4 aller

Sa trottinette est plus grande que lui, mais il n'en donne pas moins de grands coups décidés sur le sol pour se donner de l'élan. Il m'arrive au genou mais quand sa mère l'assied dans le métro, ses petites chaussures frôlant mes jambes, il me regarde bien en face avec un air malicieux.
Il mâchonne son bonbon-banane-qui-pique-pas-trop et nous conspirons silencieusement en échangeant des sourires.
A Strasbourg-Saint-Denis il faut sortir. Il descend tout seul, vacille un peu quand on freine, et saute sur le quai sans paraître impressionné par l'espace entre le béton et la rame. Il ne fait pas un mètre de haut, mais il s'en tamponne du gap between the train and the platform.
Sa mère lui rend sa trottinette et, sans un regard pour moi, il file déjà à toute allure.
Je ne connais pas son nom, mais ce matin-là ma journée commence en sourire, grâce au petit garçon qui mangeait des bonbons bananes.

Ligne 4 retour

Nous sommes deux à ne pas pouvoir détacher notre regard de la jeune fille blonde assise au milieu du rang de trois sièges.
Le garçon qui l'observe aussi se tient à quelques mètres. Il a un vieux sac à dos entre ses pieds et ne s'accroche à rien quand le métro démarre. La jeune fille a de grands yeux clairs d'une forme un peu trop parfaite. Le rose de ses joues annonce déjà l'hiver. Elle joue avec ses cheveux en regardant intensément le nom des stations à mesure qu'elles défilent. Je n'arrive pas à déterminer son âge, elle a un nez si jeune qu'elle pourrait avoir dix-sept ans, mais elle porte un sac à main de femme qui en aurait trente.
Elle n'a pas l'air ingénu de C. Deneuve, ni la classe incroyable de D. Seyrig, mais je lui trouve - à elle aussi - des airs de muse botticellienne.
Elle descend à Réaumur, le garçon au sac à dos et moi échangeons un regard dépité.

 

De retour à la maison j'écoute ça, et je ris toujours (depuis le temps!) du "Alors Vincent, c'est ça hein, le style Delerm..."
Puis, dans des lettres à C., j'écris que mon goût pour la mélancolie me désarçonne aussi.

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Commentaires
E
Je cute totalement d'imaginer, quelque part au Québec, un papa qui écoute Vincent Delerm :)<br /> <br /> L'autre jour c'est ta très belle carte qui a mis de la chaleur dans ma journée, j'y réponds dès que s'achève ma semaine-de-l'extrême!
K
Je connaissais Vincent Delerm à travers les yeux de mon papa,<br /> <br /> mais ça prend une toute autre couleur,<br /> <br /> qui me fait tout chaud,<br /> <br /> quand c'est à travers tes yeux.<br /> <br /> Comme tout le reste;<br /> <br /> les trajets de métro,<br /> <br /> ou la fourrure d'un chat.<br /> <br /> K.
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