Je garde dans la solitude comme un pressentiment de toi (M.J.)

Le temps file vite sauf pour moi.
Bientôt cinq mois sur le calendrier dans l'entrée. On ne l'utilisait pas trop, il me reste encore des tas de stickers stupides "Dîner aux chandelles", "On sort", "Soirée coquine", "J’t'aime", "Tes parents viennent", "Soirée entre mecs". Dans l'entreprise qui fabrique ces calendriers, les couples sont trentenaires, avec un homme qui entreprend des soirées foot et une femme qui planifie des journées shopping. 
Maintenant en début de mois, je barbouille rageusement les conseils au-dessus du carré A-ne-pas-oublier. En octobre, déguisez vous sexy pour Halloween et profitez-en pour pimenter votre couple.
Que d'immobilité en cinq mois. Les pleurs sont revenus bien rapidement. L'absence et le manque n'en finissent pas de prendre de l'ampleur, et le goût des choses reste terni par le chagrin. L'éloignement qui va beaucoup plus vite que moi, beaucoup beaucoup trop vite.
Dans nos échanges qui se raréfient incroyablement, on fait semblant dans la forme, dans les mots choisis. On fait comme s'il restait quelque chose de l'essence de notre complicité. Quelque chose qui peut surmonter et survivre à une rupture et qui pourrait justifier une amitié. On utilise parfois une expression d'avant, une expression à nous, et ça me serre le coeur de sentir que ça n'a plus rien d'actuel. L'actuel tout en creux, tout en vide, tout en plus rien. Certains jours je suis surprise de réaliser - à nouveau - que nous ne sommes plus ensemble. Quand elle passe à la maison et que je vois combien c'est évident pour elle, je suis jalouse.

 

Les vacances sont là - une première à cette époque de l'année- et elles me semblent inespérées. J'essaie de concentrer mon énergie pour attaquer cette semaine de pause. C'est bien une pause mais j'ai envie de l'attaquer farouchement, comme en examens, avec un plan de bataille. Avant je dessinais un renard belliqueux sur les plans de bataille. Maintenant je m'abstiens.
Je choisis des objectifs assez vagues pour ces sept petits jours: les études, le bien-être dedans, la vie dehors. Je perçois un élément certain de mon identité dans cette démarche. Cette tendance assez présomptueuse à estimer que je mérite le bonheur, et que ma seule volonté suffit à y parvenir.
J'aurais pu écrire ça:
- Objectif : être heureuse
- Moyen : le vouloir.
En scotchant mon plan de bataille sur le bureau, je souris tout de même de retrouver la motivation - naïve mais bienvenue - pour ces petites guerres personnelles. Entre deux moments d'abattement égocentrique, où tout ce qui ne concourt pas à faire mon bonheur me semble terriblement injuste, j'ai envie d'en découdre avec le hasard et de tout rafler.

(Cette illustration pour dire que j'aime fort le travail de Delphine Vaute)

Ce soir, les pâtes à la sauce n'avaient pas le goût du manque, elles avaient le goût d'une journée chargée mais joyeuse, de la fatigue agréable qui donne très faim. 
On ne peut pas dire que les merveilleux au chocolat aient été réussis, malgré mon tablier des grands jours dont j'espérais qu'il fit illusion. J. n'a pas été d'une grande aide quand il s'est agi de déterminer si la consistance de la chantilly était satisfaisante. Il préférait lécher la casserole de chocolat et je me sentais un peu idiote d'être tout à coup incapable de savoir à quoi ressemblait une chantilly. Ils se resservirent néanmoins suffisamment de fois pour me convaincre tout à fait que j'étais bonne à marier.
En les écoutant discuter de l'arrière-grand-père anarchiste de la fille-aux-collants, je me réjouissais de ce que nous étions trois et que ce chiffre me laissait la possibilité de profiter de leur présence en pouvant parler peu. J'ai senti que j'aimais J. pour ça, sa capacité à être extrêmement sociable sans toutefois se mettre en avant, sa façon d'être avenant avec une retenue délicate. J'ai aimé que la fille-aux-collants ait ramené des cadeaux pour L.Tigrinus, bien décidée à le charmer à tout prix. Comme des adolescents, nous avons éclaté de rire en voyant apparaître nos figures sur le film polaroïd dont le cadre kitchissime confère un charme assez amusant aux photos. Nous avons aussi décidé que J. n'échapperait pas à notre sortie pour voir Jules et Jim sur grand écran, même s'il trouve ma liste de films à voir hipster. Devant ma liste de livres, la fille-aux-collants nous confia qu'elle n'avait jamais lu un Céline en entier malgré les trois années de prépa. Je n'ai pas osé avouer que mon vernis culturel est si mince et factice que je n'ai jamais lu un Zola en entier. J'ai toutefois bon espoir que la formule du père de C. qui m'avait tant plu soit fausse: ces livres que l’on lit avant vingt ans ou qu’on ne lit jamais.
Quand ils sont partis alors qu'il faisait déjà nuit depuis un moment, j'ai espéré que nous arrivions bientôt au stade de l'amitié où on se fait un câlin pour prendre congé.

Peut-être que pour ces sept jours à venir, le temps va filer vite.

Comments

[Kolibri]

"au stade de l'amitié où on se fait un câlin pour prendre congé"... Tu mets les mots sur une des choses qui me manque terriblement depuis mon arrivée à Montréal. Cette complicité qui permet, cette amitié qui donne à vivre. En ce moment, tout le monde est loin et ceux qui sont proches, ce n'est pas vraiment important. Mais ça viendra, j'imagine. Ça finit toujours par venir quand je n'y crois plus vraiment... Et j'en ai vécu des changements d'endroits!



Prends soin de toi cette semaine,

et j'espère que si tu reçois (enfin!) mes nouvelles postales,

elles participeront un peu à te rendre heureuse.



Bonne nuit,

K.



ps: Je suis bien contente que tu ais écris un billet ce soir... Je n'étais pas venue traîner ici depuis quelques jours, mais ce soir, je n'arrive pas vraiment à m'endormir et tes mots si magiques à lire remplissent doucement mes heures sans sommeil. Merci.