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La vie rousse
28 septembre 2014

Main dans la patte on avance

 

Bonnard

 

C'est un dimanche où on court sur les quais de gare en pestant contre l'organisation de la SNCF. Ma petite soeur est repartie chez elle, après un weekend de "grandes", où on ne demande plus l'avis de personne pour qu'elle me rende visite, et où "on mange vachement mieux que chez maman".

Le weekend fut court mais complice. Nous avons en commun une énorme gourmandise et un penchant pour les duos de rap improvisés à propos de L. Tigrinus, qui nous toise impassible quand nous faisons rimer gangsta avec petit chat.
De façon emblématique et très adorable, elle a ramené dans ses bagages un paquet de pâtes et diverses victuailles payées sur son argent de poche, persuadée que je ne me nourrissais pas.

Elle reste pour moi un grand mystère. Je ne comprends toujours pas quels sont ses centres d'intérêts, ni de quoi elle parle avec ses amis, ni ce qui la tient éveillée le soir. Je projette une foule de fantasmes sur sa personnalité, sans jamais réussir à la saisir.
Chez nous les rôles d'ainée et de cadette ont fortement influencé la différence de nos caractères, mais je n'arrive pas trop à mettre les mots sur ça ici.


Quand je la vois, je me sens un peu plus vieille. L'adolescence est derrière moi depuis un moment déjà (à moins qu'on n'en sorte jamais), même si je m'en souviens bien.

A 16 ans, j'encourageais mes chamboulements sentimentaux en fredonnant des chansons de Simon and Garfunkel.
A cette époque, j'ai vécu de très belles nuits d'amitié. Avec C. et H. nous étions inséparables. Nous passions des soirées dans la chambre de M., le frère de H. Nous portions ses chemises en coton épais plutôt que nos pyjamas, nous écoutions religieusement Caravan Palace, nous rejouions des scènes de Sergio Leone en bondissant sur les mélodies d'Ennio M. et nous mangions des pizzas.
La nuit nous nous serrions dans le lit une place et demie où nous discutions jusqu'au matin.

A cette époque, H. était amoureuse d'un G. et moi d'un autre G. Nous nous racontions le moindre effleurement, encouragées par C. qui, patiente et finalement assez pudique, ne nous parla jamais trop de sa relation avec J.
Ni H. ni moi n'obtinrent jamais rien de nos G. respectifs.

Dans cette même chambre, il nous arrivait d'être plus nombreuses. On invitait A., L., J. et P. (j'en oublie) et nous refaisions le monde avec encore plus d'entrain. Ces nuits là, le lit une place et demie restait vide et nous préférions nous entasser sur trois matelas à même le sol.

A cette époque, B. (dont ce n'est pas la véritable initiale, mais il était ce genre de personnage extraordinaire qui imposait l'utilisation d'un surnom) avait le permis et une voiture. Il l'avait plus ou moins bricolée lui-même, et certains parents interdisaient à leurs ados d'y monter. Il m'emmenait au lycée avec, on ouvrait grand les fenêtres, et on chantait les chansons des Fatals Picards que je connais encore par coeur. B. qui était si grand, si bourru et qui aimait la musique qui fait du bruit, se concentrait parfois longtemps, le front plissé, pour faire des dessins dans un carnet.


L'été, nous allions dans la maison de campagne familiale de H. (sa famille était très grande et la maison aussi) en Normandie. Nous cuisinions des pâtes pour dix et nous faisions des balades nocturnes entre les lucioles et les moutons. La journée, nous lisions dans les immenses fauteuils, jouions aux cartes dehors et dedans, et parfois, on sortait le camping-car pour aller jusqu'à la mer.
Un été où nous n'étions qu'entre filles, nous avons décidé de tourner un film collégialement scénarisé. C'était un thriller sur une histoire de jeu qui dérive. Nous avions fini le tournage en catastrophe, angoissées par l'atmosphère de l'histoire que nous jouions. En le regardant une fois fini, j'ai compris qu'il était vain que je m'essaie à la comédie pour le restant de mes jours.
Quelques mois plus tard, dans une pièce aux murs ocres, C. et moi décidions d'écrire un autre scénario de thriller en huis clos (fortement inspiré de Sartre). Nous y avons travaillé durant de longues heures. Après avoir décidé des personnages, de l'intrigue et des grandes lignes de la mise en scène, nous avons essayé d'écrire. Nous n'avons jamais rédigé davantage que la première ligne qui était ainsi:
      

AUDREY:
Audrey.

Ca nous a longtemps fait rire.

 

A 16, 17 ans, j'ai été quittée par un garçon et je lui en ai voulu pendant deux mois de ne plus me saluer le matin (le rituel adolescent du salut matinal avait une charge symbolique impressionnante). Le soir de la rupture, je prévenais H. et C. sur une conversation groupée msn. Je leur racontais comment il m'avait pourtant envoyé des paroles de chansons des Beatles tout l'été, et combien j'étais triste.

A cette époque, j'ai sans doute été un peu troublée par les yeux bleus de L. durant un voyage scolaire en Grèce. J'étais aussi fascinée par Ae qui ressemblait drôlement au personnage de mon projet d'arts plastiques (à moins que ce ne soit l'inverse). Quelques années après, R. se moquera de mon aveuglement face à ces indices de mon émoi futur.

Durant l'année scolaire, on jouait au billard le samedi au-dessus d'un bar. On faisait des mélanges alcoolisés douteux dans de grandes glacières pendant les soirées, on dansait beaucoup, et les garçons finissaient toujours la nuit torse nu, dans une atmosphère un peu moite et collante.
On participait à des manifestations où nous n'étions pas plus de 200, et où nous finissions par aller à trois chez C. pour boire du thé à la menthe. On refaisait traditionnellement le monde, j'avais beaucoup d'idéaux politiques et je relayais J'ai vomi dans mes Cornflakes sur mon skyblog (sur lequel j'écrivais en dégradés multicolores).

J'allais voir Jeanne Cherhal en concert avec C.
Je lisais des mangas avec M.
J'inventais des histoires stupides avec B.
Je parlais de Walt Whitman avec A.
J'étais déjà la seule de mes amis à aimer Vincent Delerm (mais je n'écoutais que ses chansons joyeuses - il a fallu R. pour me convertir à son intégralité)
Je disais à F. que la vie était belle en optimisme.
Je serrais la main de L.
Je racontais les choses inavouables à une autre L.
Tous les jeudis, j'allais chez H. le midi et nous regardions un épisode des Shadoks.

A 16, 17 ans, j'étais persuadée (un peu à tort) de vivre les plus belles années de ma vie, alors j'essayais de profiter de tout en vivant une forme étrange de pré-nostalgie.

chambreM
(Mes amies d'enfance sont humaines, mais on respectera leur anonymat. A droite, le fameux lit.)

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Commentaires
G
Quelle chance, une adolescence au 21ème siècle !!!! ça devait être rudement mieux que les horribles années 80 qui ne me permettent pas de regretter la mienne !!!!
E
"ces moments où je n'avais besoin de rien d'autres<br /> <br /> que de ces quelques amis qui étaient tout mon univers. "<br /> <br /> <br /> <br /> C'est exactement ça :) <br /> <br /> <br /> <br /> Bonne nuit sur ton fuseau (ça ressemble à fusée)!
K
Tu me donnes bien envie d'écouter du Tricot Machine là!<br /> <br /> Ils sont parfait pour la nostalgie,<br /> <br /> mais pour celle qui est teinté de douceur naïve...<br /> <br /> C'est de cette façon-là que je vis ma nostalgie des 16 ans,<br /> <br /> que je repense à ce sentiment d'être née au meilleur endroit au monde,<br /> <br /> là où sont toutes les meilleures personnes,<br /> <br /> ces moments où je n'avais besoin de rien d'autres<br /> <br /> que de ces quelques amis qui étaient tout mon univers.<br /> <br /> <br /> <br /> On dirait que ton billet me donne des pensées d'automne,<br /> <br /> des pensées qui me font du bien.<br /> <br /> <br /> <br /> Bonne nuit,<br /> <br /> K.
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