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La vie rousse
12 septembre 2014

Ben non tant pis, on fera la vaisselle demain matin

 

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Oh la la, les livres.

Il y a eu les larmes aux yeux de R, de quitter sa maison, de laisser L. Tigrinus, de fatigue aussi.
Il y a eu mes larmes aux yeux, de la voir partir, d'espérer malgré moi qu'elle reviendra et qu'on pourra être heureuses en mangeant des millefeuilles Aoki tous les jours dans l'appartement bien rangé, et puis la fatigue aussi.

Nous avons souffert sur les piles de livres, les piles qui recouvrent le sol du deux-pièces, les tables basses, les tables hautes. La dernière fois que nous les avions laissé nous envahir ainsi, c'était pour faire un grand tri, nous avions rangé la philosophie et les livres de cuisine à part, et tout le reste par ordre alphabétique. J'avais même commencé à répertorier les ouvrages dans un logiciel, mais je n'avais pas eu le courage d'aller au-delà de la première bibliothèque.

On décrète une répartition égale de Kant, faute de savoir à qui appartient quoi.
R. se pince les lèvres "Je t'ai fait des beaux cadeaux". Elle a raison, je lui dois plus de la moitié des exemplaires auxquels je tiens vraiment. Dans la plupart de ces livres qu'elle m'offrait, elle avait l'habitude de laisser une dédicace sur la première page. J'ai refusé qu'on arrache ces pages (je crois qu'elle a pris la même décision concernant mes dédicaces dans ses livres), mais je sais que ces mots doux m'empêcheront longtemps de les ouvrir à nouveau. 
Elle m'offre l'Amérique de Jamie pour étoffer un peu mon rayon cuisine devenu ridicule. Elle accepte que je garde un temps le sublime Bestiaire du Gange ( "il s'appelle reviens" ). Nous laissons de côté les guides de voyage. Il y a ceux bourrés d'annotations qui rappellent trop de souvenirs (Barcelone, Rome, Berlin) et ceux, vierges, qui étaient destinés à des voyages qui n'auront jamais lieu à deux (Londres, le Vietnam).
Elle dit qu'il faut que je me débarrasse de l'Astrée d'Urfé (parce que c'est le prénom que nous aurions aimé donner à notre fille). Je ne sais pas trop à qui l'offrir, c'est un drôle de cadeau, et j'ai bêtement une réticence énorme à le jeter.

J'ai noté les livres que j'avais trop de peine à voir dans sa valise et que j'aimerais m'offrir dans l'année. Bien sûr, je ne retrouverai pas tout de suite la belle anthologie d'écrits sur l'art d'Eluard. Je chercherai une alternative au livre sur Degas. Je reprendrai en priorité Hervé Guibert, Virginia Woolf, Annie Ernaux, Jacques Prévert, Tanizaki et Jacqueline de Romilly.
Je sais que j'ai de la chance, que ses valises laissent de l'espace dans mes bibliothèques, de l'espace qu'il sera excitant de remplir à nouveau. Je sais le sacrifice que c'est pour elle d'empiler ses livres, de les ranger dans des sacs qu'elle devra déposer ailleurs, sans pouvoir les récupérer tant qu'elle n'aura pas d'appartement plus grand. A sa place je ne sais pas lesquels j'aurais choisi de garder dans ma valise.

Peut-être que nous sommes trop matérialistes.

Je suppose que ce tri et sa première nuit chez elle consomment la rupture. J'espérais éprouver une forme de soulagement mais je n'ai, pour l'instant, que de l'amertume et des regrets.
Il y a dans ces livres nos torts, les choses qu'on ne parvenait pas à partager, nos erreurs, ma paresse, son snobisme.
Avant de fermer sa valise, elle a regardé son contenu et a dit "Je me demande ce qu'ils disent de moi ces livres".
Je n'ai pas su répondre.

 

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