Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector qui est mort.

Vendredi

En voyant Bird People, j'ai pensé aux clichés de Sophie Calle (L'Hôtel 1981). Je m'étais amusée de sa démarche même si j'avais trouvé le résultat un peu ennuyeux (mais peut-être qu'un jour je saurai apprécier l'ennui et ce sera un sacré aboutissement). Je me suis demandée si le désordre de ma chambre me trahissait trop ou si, de toute façon, toute tentative de rangement ne duperait aucun individu de mon entourage.
Je me suis décidée pour la deuxième solution et j'ai préféré finir mon livre avant d'entamer quelques allers-retours épuisants pour déposer mon dossier de Master hier après-midi.

Le soir, il y a eu la dispute. Puis ce petit bout de nuit étrange, à coller ma tête contre les vitres de la ligne 4, puis 1, puis 2, en écoutant les conversations des gens et en éprouvant chaque fois un petit pincement lorsqu'arrivait la station où ils descendaient. Entre deux lignes de métro je me suis arrêtée dans le Marais. J'ai pris un hot-dog et j'ai marché en croisant d'inombrables couples et des fêtards joyeux. J'ai laissé la moutarde américaine me chatouiller les narines pour ne pas être trop envieuse.

Depuis quelques jours, j'ai oublié mon code d'accès à mes comptes en ligne. Je plonge pour la première fois de ma vie de fourmi dans le rouge de mon compte bancaire, et cet oubli qui fait mieux qu'un acte manqué, tombe à pic. En priorité, il y a un film au cinéma qui n'attend que mon insouciance financière pour être vu: A la recherche de Vivian Maier. Il a l'air génial et sort le 2 juillet ici.

Samedi

Chez Gibert au rayon BD, un format roman graphique attire mon regard: Journal de Julie Delporte (tiens donc, une canadienne. C'est bien, mon instinct et le hasard se comportent de façon très innocente et neutre. Ha-ha-ha). Sur la quatrième de couverture il est écrit "Depuis que tu es parti, je dessine tous les jours". Le dessin chatoyant est très joli, je me dis que c'est courageux de dessiner tous les jours. L'album s'ouvre sur une citation d'Annie Ernaux.

Je ne sais pas si ce tout petit monde fait de coïncidences et de recoupements incessants me réjouit. Peut-être que j'aimerais qu'il y ait des choses qui ne soient qu'à nous, que je ne retrouve nulle part ailleurs que dans nos deux esprits. En même temps, quand je tombe sur ce genre de clin d'oeil, je ne peux pas m'empêcher de sourire et d'espérer bêtement que R. le verra aussi et pensera à me l'offrir.
Il y a aussi ce tirage limité du magnifique carnet du Portugal de Pedrosa. En l'ouvrant, nos voyages avortés me plombent un peu. Je me demande avec qui le Renard fera son voyage-important. Pour me consoler, je me dis que c'est peut-être un voyage qui se fait seul.

M'occuper l'esprit par la culture s'annonce difficile. Deux oeuvres sur trois me rappellent R. Nous n'avions pas toujours les mêmes goûts mais j'imagine qu'à nous deux, nous couvrions facilement la plupart des rayons du Gibert.
Je pose un lapin à un garçon pour une expo sur Noureev, c'est dommage l'expo me faisait envie mais pas le garçon.

Je tente d'autres pistes. J'éprouve le besoin d'acquérir des tas de nouvelles choses, des choses dont je sais qu'elles ne m'échapperont pas. Je deviens cette personne étrange qui éprouve une satisfaction banale et un peu ridicule: je paie en contrepartie d'objets inutiles dont la seule finalité est de m'appartenir.
J'espère trouver autre chose que la consommation comme addiction de substitution. En attendant, je passe des heures à regarder ma peau absorber diverses crèmes. Ma main passe et mes pores s'occupent de mes actes de propriété.
Je finis par rire un peu de mes choix désastreux. Je suis sans doute la fille la moins douée au monde pour noyer son chagrin dans du shopping. Je déballe mes achats à la maison en me demandant comment j'ai pu acheter un truc aussi moche. A force d'étaler des crèmes, la peau de mes mains a pris une couleur un peu suspecte et je pense qu'il vaut mieux que je ne porte pas de robe pendant les 10 prochains jours, même si d'après la vendeuse ça part au savon. Si seulement...